Avant Pâques, chaque Vendredi saint à 15h à Perpignan la Catalane, une étrange procession réunit une foule hétéroclite de fervents croyants et de simples touristes qui se rassemblent tout au long de son parcours. Et vous voilà, même si vous êtes sceptique, plongé dans une atmosphère d’un autre temps, à la fois mystérieuse et mystique. C’est la procession de la Sanch.
Une certaine ferveur se dégage de cette célébration religieuse de la Semaine sainte, et un sentiment étrange et très personnel flotte dans cette ambiance lourde face à ce défilé d’hommes cagoulés, en tenue longue, noire pour les hommes -rouge pour certains- et noire avec une mantille sur la tête pour les femmes.
Une tradition vieille de six siècles !
Cette manifestation rare en France (on ne la trouve que dans quelques endroits du Roussillon), et souvent traitée différemment en Catalogne espagnole, trouve ses racines à la fin du Moyen-âge. En 1416 la « Confrérie de la Preciosissima Sanch de Nostre Senyor Jesus Christ » fut créée par Saint Vincent Ferrier (un prêcheur originaire de Valence en Espagne) lors de son passage à Perpignan, en l’église Saint Jacques.
Sanch (il faut prononcer sank) signifie « sang ». Sant Vicent Ferrer qui appartenait à l’ordre des Dominicains attribua trois missions à la Confrérie :
– soutenir et accompagner physiquement et spirituellement les prisonniers et les condamnés à mort jusqu’au lieu de leur exécution et leur donner une sépulture chrétienne
– aviver et perfectionner la foi des confrères et consœurs
– organiser chaque année une procession en commémoration de la Passion du Christ
A l’époque, les membres de la Confrérie de la Sanch se joignaient aux prisonniers et revêtaient le même costume noir avec une cagoule pointue pour que personne ne puisse identifier les condamnés ni les lyncher avant leur arrivée sur le lieu d’exécution.
Une procession impressionnante à Perpignan !
Aujourd’hui, la Confrérie de la Sanch perpétue cette tradition, symbole de la culture et de l’identité catalane, et organise la procession dans les rues de la capitale du Roussillon. Sur 1 km et pendant 3 heures durant, le cortège avance à un rythme lent. Il est ponctué par les tintements de cloche, des roulements de tambours et des pauses.
Le saviez-vous ?
Aujourd’hui, les membres de la Confrérie continuent de s’engager solennellement à participer à des actions de charité, ils visitent aussi les prisonniers et ils accompagnent les familles dans leur deuil.
Le défilé est mené par le « regidor » (meneur), il ouvre la marche. C’est un « caparutxa », c’est-à-dire un pénitent. Tout de rouge vêtu (robe et cagoule conique), il porte une cloche qu’il agite pour impulser le tempo de la procession.
Juste derrière, les tambours prennent le relais et produisent des roulements très sourds, très profonds, rendant l’ambiance pesante, dramatique. Ces tambours sont habillés de crêpe noir.
Suivent ensuite les différentes confréries des paroisses catalanes et leurs bannières. Les « caparutxes » (pénitents) portent sur leurs épaules les « Misteris » (représentations à taille réelle, en bois ou en cire des différentes scènes de la Passion du Christ), ornés de fleurs. Les pénitents, vêtus de noir et cagoulés pour les hommes et en mantille noire pour les femmes, parfois pieds nus, se relaient au roulement de tambour pour porter les Misteris qui pèsent jusqu’à 30, voire 50 kg. Ils sont suivis en silence par de nombreux pèlerins de tout âge qui participent au chemin de croix.
Ce défilé majestueux et solennel, ponctué par des « goigs » (cantiques) se déroule dans le recueillement et rassemble une foule silencieuse massée le long du parcours dans les rues du cœur historique de l’ancienne capitale des rois de Majorque.
Attention toutefois, si vos tout-petits sont très sensibles, sachez qu’ils peuvent être impressionnés.
Le saviez-vous ?
La Sanch fait partie du patrimoine culturel et religieux immatériel. La procession de la Sanch à Perpignan rassemble environ 700 pénitents et une foule de fidèles et touristes curieux venant du monde entier.
Les autres célébrations de la semaine sainte en Pays Catalan
Dans les communes des Pyrénées orientales, les manifestations de la semaine sainte font partie des spécificités du Pays Catalan et de leur culture traditionnelle.
Ce sont les processions de l’archiconfrérie de la Sanch qui, dès le Jeudi Saint, marquent les moments forts précédant les festivités de Pâques.
Le jeudi soir à Bouleternère, au pied des premiers contreforts des Aspres, les pénitents se retrouvent pour la procession nocturne de la confrérie des « pagesos » (paysans). Ils défilent en civil, sans les costumes de la Sanch, cette tradition date du Moyen-âge.
Le vendredi saint, après Perpignan à 15 h, la procession de la Sanch vous donne rendez-vous la nuit à 21 heures à Collioure en bord de Méditerranée. L’ambiance est magnifiée par la nuit qui rend la procession encore plus mystérieuse sous la lueur des flambeaux. Pendant 1h30, le cortège arpente les ruelles de la vieille ville où les habitations et les reposoirs sont décorés tout au long du parcours.
À Arles-sur-Tech, dans le Vallespir, au Sud Canigou, la procession se déroule aussi la nuit de 21h à 23h dans les rues étroites de cette petite cité romane, la ville s’enveloppant alors d’un silence respectueux qui n’est rompu que par les sons de la cloche et les roulements de tambours.
Le jour de Pâques, les rues de Céret sont en fête avec la Procession du Ressuscité. Les cloches sonnent cette bonne nouvelle le dimanche matin et annoncent une journée pleine de ferveur religieuse et de traditions catalanes !
C’est aussi le dimanche de Pâques qu’Ille-sur-Têt offre une célébration unique pour fêter la résurrection du Christ : A 8h, la statue du Ressuscité et la statue de la Vierge se saluent 3 fois, et c’est le coup d’envoi des Régina (celle de Coll puis celle de Colomer), œuvres musicales uniques qui sont interprétées par 130 choristes accompagnés par un orchestre de 40 musiciens. C’est un moment magique et fascinant par tant de conviction !
La Catalogne Sud n’est pas en reste
En Catalogne Sud, la ferveur est moindre que dans le reste de l’Espagne pendant la Semaine sainte. Mais des processions ont lieu un peu partout. Les plus spectaculaires et connues diffèrent de la Sanch, mais sont tout aussi impressionnantes.
A Verges, la nuit du jeudi saint, vous pourrez assister à la très célèbre « Danse de la mort ». Dans le cadre médiéval de ce petit village de l’Empordà, cette procession macabre met en scène 5 squelettes éclairés par des torches qui dansent au son de tambours accompagnés de personnages vêtus de robes noires. Cette manifestation spectaculaire et unique est classée par l’UNESCO au patrimoine immatériel de l’humanité.
Changement d’ambiance à Badalona sur la Costa Brava, près de Barcelone. Ici, le silence est roi en ce jour du jeudi saint ! Une foule totalement silencieuse déambule dans les rues médiévales et, cierge à la main, éclairent la nuit noire pour cette Procession du silence. Le silence total est pesant, oppressant, vous n’oserez émettre aucun son, mais n’oubliez pas de lever les yeux pour vous émerveiller de la vision de toutes ces lumières qui éclairent chaque fenêtre de la ville.
A Sant Hilari Sacalm, petit village de montagne, dans la province de Gérone, la Passion du Christ se traduit par un Chemin de croix vivant et nocturne et mis en scène jusqu’à la crucifixion qui se déroule sur une colline où toute la mise en scène bénéficie d’une mise en lumière spectaculaire. Le cortège mobilise 300 personnages. Pendant la semaine sainte, vous pourrez même visiter un camp romain reconstitué.
Enfin, Gérone organise entre autre la procession du Saint Enterrement, procession nocturne qui part de la Cathédrale. Le défilé se compose de soldats romains, les « Manaies de Girone » qui avancent en frappant le sol avec leurs lances rythmant la marche et donnant une ambiance sombre, ils sont accompagnés de chars des confréries, références au chemin de croix de Jésus.
Que vous soyez en France ou en Espagne pour le week-end de Pâques, la Catalogne saura vous offrir des spectacles uniques, mystérieux et poignants. Vous pourrez vibrer avant de festoyer le dimanche car la gastronomie vient à point après une période de carême pour les religieux.